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Pratiques commerciales déloyales : les pratiques agressives
Par
Sala-Martin Avocat - Octobre 2021
Les pratiques commerciales déloyales sont prohibées en droit français et sont traitées par le code de la consommation (« CC ») sous son chapitre 1er (articles L. 121-1 à L. 121-22).
Ces dispositions résultent de l’ordonnance de codification du 14 mai 2016 qui a modifié la présentation et la structure des dispositions qui résultaient de la transposition de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux « pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur ».
Cette directive a dressé une liste de 31 pratiques commerciales déloyales – car réputées trompeuses ou agressives - qui sont prohibées en toutes circonstances.
L’article L.121-1 CC énonce que:
« Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.
Une pratique commerciale est déloyale lorsque qu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service.
Le caractère déloyal de pratiques commerciales visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d’une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s’apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe.
Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121–2 à L. 121–4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121–6 et L. 121–7 »
Dans la présente fiche seront abordées les pratiques « agressives », étant précisé que les pratiques « trompeuses » sont évoquées dans l’étude thématique qui leur est dédiée.
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L’article L. 121–6 du CC définit la pratique commerciale agressive comme suit:
« Une pratique commerciale est agressive lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes ou del'usage d'une contrainte physique ou morale, et compte tenu des circonstances qui l'entourent:
1° Elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d'un consommateur (exemple : une pratique agressive qui incite le consommateur à accepter un prix excessif) ;
2° Elle vicie ou est de nature à vicier le consentement d'un consommateur (exemple : un consommateur est poussé à conclure un contrat à des conditions qui différent de ce qu’il voulait) ;
3° Elle entrave l'exercice des droits contractuels d'un consommateur » (exemple : entrave du droit de résiliation d’un contrat).
La sollicitation n’est pas répréhensible en soi, mais elle le devient lorsqu’elle s’apparente à une forme de harcèlement qui résulte de son caractère « répété et insistant » (comme le démarchage téléphonique ou l’envoi systématique de spams…) ou, a fortiori, si elle résulte d’une contrainte physique ou morale exercée à l’encontre du consommateur, autant de moyens de pression qui feront obstacle à l’exercice de son libre choix.
Ainsi, le délit sera réputé constitué dès lors que la pratique « est de nature » à altérer la liberté de choix ou à vicier le consentement du consommateur.
Il s’agit donc d’une infraction formelle, la simple potentialité suffisant pour que le délit soit avéré.
De même, il s’agit d’une infraction intentionnelle, étant observé que cette intention sera généralement déduite de la qualité de professionnel de l'auteur qui a agi en pleine connaissance de cause.
Pour apprécier l’existence de l’infraction, il sera tenu compte des « circonstances », telles que la nature du contrat et de ses conditions essentielles.
L’article L. 121-6 précité ajoute des indices permettant de caractériser ces pressions:
« Afin de déterminer si une pratique commerciale recourt au harcèlement, à la contrainte, y compris la force physique, ou à une influence injustifiée, les éléments suivants sont pris en considération :
1° Le moment et l'endroit où la pratique est mise en œuvre, sa nature et sa persistance ;
2° Le recours à la menace physique ou verbale ;
3° L'exploitation, en connaissance de cause, par le professionnel, de tout malheur ou circonstance particulière d'une gravité propre à altérer le jugement du consommateur, dans le but d'influencer la décision du consommateur à l'égard du produit ;
4° Tout obstacle non contractuel important ou disproportionné imposé par le professionnel lorsque le consommateur souhaite faire valoir ses droits contractuels, et notamment celui de mettre fin au contrat ou de changer de produit ou de fournisseur ;
5° Toute menace d'action alors que cette action n'est pas légalement possible. »
L’article L. 121–7 CC dresse une liste de pratiques commerciales réputées agressives qui matérialisent les pressions précitées et reflètent des situations concrètes :
«Sont réputées agressives au sens de l'article L. 121-6 les pratiques commerciales qui ont pour objet : - soit il n'existe pas de prix ou autre avantage équivalent ;
1° De donner au consommateur l'impression qu'il ne pourra quitter les lieux avant qu'un contrat n'ait été conclu ;
2° D'effectuer des visites personnelles au domicile du consommateur, en ignorant sa demande de voir le professionnel quitter les lieux ou de ne pas y revenir, sauf si la législation nationale l'y autorise pour assurer l'exécution d'une obligation contractuelle ;
3° De se livrer à des sollicitations répétées et non souhaitées par téléphone, télécopieur, courrier électronique ou tout autre outil de communication à distance ;
4° D'obliger un consommateur qui souhaite demander une indemnité au titre d'une police d'assurance à produire des documents qui ne peuvent raisonnablement être considérés comme pertinents pour établir la validité de la demande ou s'abstenir systématiquement de répondre à des correspondances pertinentes, dans le but de dissuader ce consommateur d'exercer ses droits contractuels ;
5° Dans une publicité, d'inciter directement les enfants à acheter ou à persuader leurs parents ou d'autres adultes de leur acheter le produit faisant l'objet de la publicité ;
6° D'informer explicitement le consommateur que s'il n'achète pas le produit ou le service, l'emploi ou les moyens d'existence du professionnel seront menacés ;
7° De donner l'impression que le consommateur a déjà gagné, gagnera ou gagnera en accomplissant tel acte, un prix ou un autre avantage équivalent, alors que, en fait :
- soit l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande du prix ou autre avantage équivalent est subordonné à l'obligation pour le consommateur de verser de l'argent ou de supporter un coût. »
Il convient de rappeler que le simple fait de figurer dans cette liste « noire » suffit à qualifier une pratique d’agressive et donc à la considérer comme illicite, aucune appréciation du juge n’étant requise pour retenir ce caractère agressif.
L’exemple type de pratique commerciale agressive est celle au moyen de laquelle un professionnel va donner à un consommateur l’impression, illusoire, qu’il a déjà gagné un prix dans le cadre d’un jeu, alors que l’obtention de celui-ci est subordonnée au versement d’argent (arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 18 octobre 2012, affaire C-428-1).
Seul le consommateur peut se prévaloir des pratiques commerciales agressives, en l’occurrence le consommateur « normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ».
Sur le plan civil, il sera observé que le contrat conclu à la suite d’une pratique commerciale agressive est « nul et de nul effet», en application de l’article L. 132–10 CC.
Sur le plan pénal, l’article L 132–11 CC dispose que:
« Les pratiques commerciales agressives mentionnées sont punies d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de trois cent mille euros.
Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d’affaires moyens annuel, calculée sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus date des faits. »
Si l’auteur de l’infraction est
une personne physique, celle-ci pourra se voir infliger une interdiction d’exercer une activité commerciale d’une durée de 5 ans (cf. article L. 132-12 CC) ;
une personne morale, celle-ci encourt notamment l’interdiction d’exercer l’activité dans le cadre de laquelle a été commise la pratique agressive, une publication de la décision de justice (article L. 131-39 du Code pénal).