Etudes thématiques

Un mécanisme méconnu associé à la cession de créance litigieuse : le retrait litigieux

Par

Sala-Martin Avocat - Octobre 2021

En matière de droit civil, il est des mécanismes qui présentent un intérêt majeur et qui, pourtant, demeurent relativement méconnus. Il en est un qui concerne la cession de créances litigieuses, en l'occurrence le « retrait litigieux » qui présente des avantages bien spécifiques.

Ce dispositif est régi par les articles 1699 et suivants du code civil – dispositions qui n’ont pas été modifiés par la réforme du droit des contrats de 2016 - et ne peut être mis en œuvre que dans des circonstances bien particulières :

« Celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut s'en faire tenir quitte par le cessionnaire, en lui remboursant le prix réel de la cession avec les frais et loyaux coûts, et avec les intérêts à compter du jour où le cessionnaire a payé le prix de la cession à lui faite »(1)

Pour que le retrait litigieux puisse éventuellement s’appliquer :

  • Il est tout d’abord nécessaire d'être en présence d'une créance litigieuse, à savoir une créance qui n’est pas incontestable et qui donne lieu à contestation. Cette créance litigieuse se caractérise donc par le fait qu'elle est soumise à un aléa juridique puisqu’elle doit être l’objet d'une instance contentieuse en cours ;

  • cette créance doit ensuite avoir fait l’objet d’une cession par le créancier originel à un tiers.

Dès lors que ces deux conditions seront réunies, le retrait litigieux s’opérera par le rachat de la créance litigieuse par le débiteur de la créance (soit le débiteur « cédé » dénommé le « retrayant ») auprès du tiers cessionnaire de ladite créance (dénommé le « retrayé »), au prix d'acquisition acquitté par ce dernier auprès du créancier originel, pierre d'angle de ce système original.

Le cessionnaire/retrayé ne peut s’opposer au rachat de la créance qu’il avait acquise, dès lors que le débiteur/retrayant lui verse un prix identique à celui réglé auprès du créancier originel.

Ainsi, l'avantage que représentera pour le cessionnaire/retrayé, l'acquisition d'une créance litigieuse à un prix de faveur, peut soudainement se volatiliser au profit du débiteur cédé qui décide de la racheter à ce même prix, ce rachat entraînant la disparition pure et simple de ladite créance qui sera réputée ne jamais avoir intégré le patrimoine du cessionnaire, ce qui explique l'emploi du terme de « retrait » litigieux.

L'exercice unilatéral du retrait peut prendre la forme d'un acte extrajudiciaire ou de conclusions versées dans le cadre de l'instance pendante. Si le cessionnaire est d'accord - hypothèse d'école, sachant qu’il sera plutôt enclin à s’opposer au rachat - ce dernier et le débiteur cédé peuvent naturellement conclure un acte sous seing privé.

Cette véritable astuce juridique qui vise à prévenir les cessions de créances à vil prix, est cependant soumise à quatre conditions cumulatives strictes qui doivent être réunies à la date de l'exercice du retrait litigieux :

  • comme il a été exposé, la créance litigieuse doit faire l'objet d'une contestation judiciaire au fond et le débiteur cédé/retrayant doit avoir la qualité de défendeur, et ce avant(2) la date de cession et encore à la date du retrait litigieux ;

  • la cession de la créance litigieuse doit être opérée dans le cadre d'une convention translative de propriété et à titre onéreux - ce qui résulte du simple fait que le prix de cession est remboursé au retrayé ;

  • lorsque la créance litigieuse a été cédée au cessionnaire avec d'autres créances, l'exercice du retrait litigieux par le débiteur cédé reste valable, sous réserve que « la part correspondant à la créance litigieuse dans le prix de cession global [soit] déterminable » ;

  • la créance litigieuse ne doit pas être « l'accessoire inséparable d'un droit principal ».

Pour ce qui concerne cette dernière condition, la question est fort simple et doit être traitée par la réponse à deux interrogations :

  • la créance litigieuse a-t-elle été cédée avec un autre droit ?

  • si c'est le cas, cette créance était-elle l'accessoire inséparable de ce droit ?

De fait, le « retrait n'est permis que si le droit litigieux constitue l'élément principal de la cession »(3).

.

Outre la réunion de ces conditions à la date de l'exercice du retrait litigieux, il sera noté qu'il importe peu que le prix de rachat de la créance litigieuse n'ait pas encore été payé cette date, la Cour de cassation(4) ayant consacré le principe suivant lequel :

« ...le retrait litigieux se réalise par la notification de son exercice par le retrayant au retrayé, peu important que le paiement effectif n'intervienne qu'après que la contestation affectant le droit cédé aura été tranchée, et qu'il ne suppose pas d'être accepté par le retrayé »

En considération des observations qui précèdent, le retrait litigieux a pour effet de faire revenir dans le patrimoine du débiteur cédé la créance litigieuse, le cessionnaire étant réputé n'avoir jamais été titulaire de ce droit litigieux.

Il est rappelé qu'il s'opère de plein droit et qu'il s'impose à tous, « y compris au Juge qui ne saurait vérifier l'opportunité du retrait », dès lors que les conditions requises pour son exercice sont réunies(5).

Enfin, il sera observé qu'aux termes de l'article 1701 du code civil, ne pourra faire l'objet d'un retrait litigieux la cession d'une créance intervenue

  • au profit d'un cohéritier ou copropriétaire de cette créance,

  • en dation de ce qui était dû au cessionnaire,

  • au profit du « possesseur de l'héritage sujet au droit litigieux ».

Cette exclusion concerne également le débiteur cédé faisant l'objet d'une procédure collective, afin de préserver l'intérêt des créanciers.

Sous les réserves et conditions évoquées ci-dessus, le retrait litigieux permet au débiteur de se prémunir contre toute spéculation sur sa dette en discussion et d'en être, s'il y a lieu, le seul bénéficiaire.

Notes de bas de page :

1 -Article 1699 du code civil.

2 -Cour de cassation, com., 20 avril 2017, pourvoi n°15-24.131, Légifrance.

3 -Cf. Fascicule "Vente" "Transport de créances" du Jurisclasseur Civil, art. 1699, n°60, page 10.

4 -Cour de cassation, com., 19 décembre 2006 (pourvoi n°04-15.818) (JCP E 2007, n°1740).

5 -Cf. Jurisclasseur Civil, art. 1699 à 1701, fascicule "Transport de créances et autres droits incorporels – Cession de créance : cession de droits litigieux"